Proposition de loi Corrida et combats de coqs (Discussion générale)
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à l’examen du Sénat vise à interdire la présence des mineurs de 16 ans aux courses de taureaux et aux combats de coqs.
La commission des lois n’a pas adopté le dispositif proposé, considérant qu’il n’était pas adapté à l’objectif du texte. Les auteurs de la proposition de loi ont pris en compte une partie des remarques juridiques formulées par la commission et proposent, par voie d’amendement, un dispositif de substitution.
Permettez-moi de rappeler très brièvement les éléments qui fondent la position de la commission des lois. Ils se situent sur deux plans.
D’abord, le texte a vocation à couvrir des situations très différentes au moyen d’un dispositif unique, fondé sur la notion de sévices faits aux animaux. Voilà qui est source d’incohérences, à la fois formelles et substantielles – j’y reviendrai.
Ensuite, il ne semble pas opportun que la loi se substitue aux parents dans le cadre d’un régime juridique reposant sur des traditions locales avérées.
La proposition de loi entend couvrir à la fois les combats de coqs et les courses de taureaux. Or il est apparu impossible à la commission des lois de traiter les deux situations de la même façon.
Alors que la tradition des combats de coqs semble sur le déclin dans les communes du Nord et du Pas-de-Calais, où elle est autorisée, elle demeure très vivante dans les outre-mer.
Les combats de coqs y sont liés à la pratique de paris, assimilables aux paris hippiques. De ce fait, il s’agit d’une activité réservée aux adultes.
Même s’il existe des exceptions, la pratique générale est celle d’un accès libre, sans vente de billets. Le dispositif proposé nécessiterait donc, pour être applicable, la mise en place d’un contrôle de l’accès et une implication très forte des pouvoirs publics, alors même que le nombre de mineurs présents à ces spectacles reste très limité.
La pratique traditionnelle des combats de coqs, en particulier dans les outre-mer, s’en trouverait fortement affectée, sans qu’il y ait eu de concertation préalable avec les acteurs de terrain.
Outre le risque d’un déport vers des pratiques de combats illégaux, il est à craindre que cette mesure soit perçue comme une remise en cause des traditions locales et une source de tensions inutile, surtout dans le contexte actuel.
En ce qui concerne les courses de taureaux, je voudrais formuler différentes observations, qui ne relèvent pas de questions de forme.
Tout d’abord, la proposition de loi interdirait la présence de mineurs de 16 ans, y compris pour les courses de taureaux sans mise à mort, dès lors qu’il sera considéré que des sévices sont exercés sur des taureaux. : au-delà des corridas, cela ne pourra que rendre très complexe l’organisation de courses de taureaux landaises ou camarguaises.
Ensuite, le texte prévoit d’interdire deux situations distinctes : celle dans laquelle le mineur de moins de 16 ans assiste à la course ou au combat – cette hypothèse est visée dans l’exposé des motifs –, mais également celle dans laquelle il participe à une telle activité.
Pour la clarté de la loi, il faudrait, d’un point de vue juridique, que les deux circonstances soient explicitement visées et distinguées, surtout s’agissant d’un texte pénal, lequel devrait instituer des sanctions différentes selon les cas.
À l’inverse, la proposition de loi ne dit rien des écoles taurines. Si l’effet des mesures proposées est d’interdire aux mineurs de 16 ans de participer aux corridas, la question de l’apprentissage de ces pratiques dans les écoles de tauromachie reste entière.
Je note qu’un amendement de Mme Poncet Monge entend répondre à cette difficulté.
En effet, la loi pénale étant d’interprétation stricte, les écoles qui forment à la tauromachie n’entrent pas dans le champ d’application de ce texte, qui ne vise que les courses de taureaux.
Le dispositif proposé interdirait donc aux mineurs de 16 ans d’assister aux corridas, mais permettrait aux parents d’inscrire leurs enfants, dès l’âge de 6 ans ou de 8 ans, dans les quelques écoles de tauromachie que compte notre pays.
Plus grave encore du point de vue du droit, la proposition de loi entend traiter la question de la protection des mineurs, en l’insérant dans deux articles du code pénal relatifs au bien-être animal.
Le texte n’apportant aucune modification au régime pénal, il fait reposer sur l’organisateur la responsabilité liée à la présence d’un mineur de 16 ans.
En effet, il ne prévoit de régime de responsabilité ni pour les parents – adultes ou mineurs de 16 à 18 ans – qui auraient facilité la présence du mineur de 16 ans ni, a fortiori, pour le mineur lui-même qui se serait introduit malgré les contrôles et les interdictions.
On peut faire un parallèle entre le régime de responsabilité de l’organisateur et, par exemple, celui qui pèse sur les exploitants de salles de cinéma. Néanmoins, la responsabilité de ces derniers s’exerce conjointement à celle des parents et n’est sanctionnée que par une contravention. La peine paraît plus adaptée à la gravité des faits.
La proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, laisse entendre que la présence d’un seul mineur de 16 ans transformerait, du point de vue pénal, un spectacle légal en sévices graves infligés à un animal, avec plusieurs circonstances aggravantes, dont celle d’avoir commis un acte ayant entraîné la mort de l’animal en présence d’un mineur.
Cela aurait pour effet d’exposer les personnes physiques à la peine maximale de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende – contre, je le rappelle, une simple contravention pour les exploitants de salles de cinéma – et les personnes morales à l’interdiction d’exercer une activité professionnelle, en application de l’article 131-39 du code pénal.
De fait, si elles étaient mises en œuvre par le juge, de telles sanctions aboutiraient, sans le dire, à interdire les corridas. En outre, elles ne paraissent pas conformes à l’échelle des peines, si l’on se place sur le terrain de la protection des mineurs.
J’en viens maintenant à la question de fond : la loi doit-elle déterminer, à la place des parents, l’âge auquel il est possible de voir une corrida ?
La commission des lois n’a pas trouvé de cause déterminante justifiant de retenir l’âge de 16 ans.
Ce seuil correspond à la fin de l’obligation scolaire et à la possibilité d’émancipation, ainsi qu’à l’une des limites d’âge prévues par le système de classification des œuvres cinématographiques.
L’âge retenu dans le texte a été critiqué par les personnes que nous avons entendues.
Certains le jugent trop bas, pour des raisons juridiques. Notons que l’article 521-1 du code pénal considère les sévices sur animaux en présence de mineurs comme une circonstance aggravante sans distinction d’âge, donc jusqu’à l’âge de 18 ans. L’argument selon lequel il est nécessaire de protéger le développement cognitif et psychologique des adolescents jusqu’à bien au-delà de l’âge de 16 ans a également été invoqué.
À l’inverse, ce seuil est apparu à d’autres comme élevé au regard de celui de la majorité sexuelle, fixée à 15 ans. Des personnes auditionnées ont évoqué, par exemple, des seuils de 14 ans ou 12 ans.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, il n’existe pas de consensus sur le seuil de 16 ans.
En prévoyant une telle interdiction, la proposition de loi tend à substituer l’appréciation du législateur à celle des collectivités concernées. Or ce choix pose question, étant donné le régime juridique spécifique qui s’applique aux courses de taureaux et aux combats de coqs.
Les traditions locales ininterrompues sont la condition prévue par le législateur pour faire exception au régime des sévices prévu par le code pénal et organiser des corridas. D’un point de vue juridique, elles sont identifiables à des coutumes.
En conséquence, le législateur ne saurait intervenir en matière de traditions locales reconnues comme légitimes sans toucher à la nature même du régime des corridas ou des combats de coqs, qui suppose la possibilité pour les parents de transmettre une coutume établie à leurs enfants.
Dans ces conditions, les règlements taurins adoptés par chacune des municipalités concernées par l’organisation de corridas me semblent un véhicule bien mieux adapté pour encadrer le fonctionnement des écoles taurines et faire évoluer les conditions de présence et de participation des mineurs, en fonction du contexte local et du souhait des collectivités concernées, lesquelles ont des niveaux d’attachement divers à ce type de spectacles.
Enfin, la commission des lois a estimé inopportun de substituer l’appréciation du législateur à celle des parents. Eux seuls, dans le cadre de l’exercice de l’autorité parentale, elle-même encadrée par le code civil et, éventuellement, par le juge aux affaires familiales, déterminent si leurs enfants mineurs peuvent assister ou non à un spectacle fondé sur une tradition reconnue par la loi.
Pour toutes ces raisons, sans nier le caractère intrinsèquement violent des spectacles de combats d’animaux, la commission des lois a estimé que la proposition de loi était inapplicable et que ses effets juridiques étaient disproportionnés au regard de l’objectif visé.
Aussi la commission vous propose-t-elle de ne pas adopter ce texte. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – M. Marc Laménie, Mme Monique Lubin et M. Denis Bouad applaudissent également.)