Projet de loi de finances pour 2025 Mission Justice (Orateurs inscrits)
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’administration pénitentiaire connaît une crise sans précédent, liée à la surpopulation carcérale, à l’inadéquation du nombre de postes et à l’emprise de plus en plus marquée de la criminalité organisée.
Dans ce contexte, vous avez décidé, monsieur le garde des sceaux, de tenir les engagements financiers pris envers les personnels.
Vous avez également décidé d’augmenter le nombre d’emplois créés et fait, pour ce qui est du « plan 15 000 », le constat d’un nécessaire report au-delà de 2027.
Nous saluons ces engagements et cette lucidité, raison pour laquelle la commission des lois a approuvé le budget du programme « Administration pénitentiaire ».
Toutefois, le budget 2025 aurait dû être l’occasion de choix plus stratégiques.
La priorité doit être de réorienter les crédits des projets immobiliers pour améliorer plus rapidement les conditions de détention et les conditions de travail des personnels. Aujourd’hui, monsieur le ministre, les crédits alloués à l’entretien et au fonctionnement des bâtiments restent insuffisants !
Plus largement, il est essentiel de réfléchir à la création, non pas de places supplémentaires de prison – il faudrait construire un établissement par mois pour suivre l’évolution du nombre de détenus –, mais d’établissements spécialisés adaptés aux différents types de détenus – je pense notamment à ceux qui sont atteints de troubles mentaux. C’est ce qui manque en France !
Enfin, comme je l’ai dit devant la commission des lois, il faudrait s’intéresser au parent pauvre de la détention qu’est le milieu ouvert.
Le nombre de personnes suivies en milieu ouvert est plus de deux fois supérieur à celui des personnes détenues. C’est donc là qu’il faut agir !
Or les crédits alloués aux missions en milieu ouvert sont en légère décroissance, confirmant une moindre attention portée à ces actions, dont l’administration pénitentiaire et les acteurs de terrain soulignent pourtant tous le caractère indispensable.
Les mesures de milieu ouvert sont trop souvent vues comme des alternatives à l’incarcération, ce qui est tout à fait faux : ce sont des mesures spécifiques, qu’il faut prendre pour elles-mêmes.
D’ailleurs, les mesures les mieux financées sont celles qui ont trait au bracelet électronique, soit celles qui s’apparentent le plus à l’emprisonnement. Voilà qui tend à fausser l’utilité de ces dispositifs.
Une revalorisation du milieu ouvert, via notamment l’évaluation et le développement des mesures de suivi, est indispensable à court terme, pour lutter contre la surpopulation carcérale, et, plus fondamentalement, pour permettre le prononcé de peines socialement utiles.
Ces objectifs ambitieux ne pourront être atteints que grâce à une politique pénale cohérente et redéfinie.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’était en octobre 2023 : le Sénat adoptait les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Les objectifs étaient ambitieux : réformer certains champs de notre justice pour la rendre « plus rapide, plus claire, plus moderne ». Les moyens l’étaient également : entre 2023 et 2027, le budget du ministère devait augmenter de 21 %.
C’était en octobre 2023. Nous avions l’espoir que ce grand service public de la justice serait restauré après des années de disette, quel que soit le Gouvernement. Las ! un an plus tard, à l’aune des contraintes financières qui encadrent les débats sur le projet de loi de finances de notre pays, cette dynamique est interrompue. En effet, si les crédits sont maintenus par rapport à l’an dernier, à 10,2 milliards d’euros contre 10,1 milliards en 2024, ils sont en deçà des 10,7 milliards d’euros prévus par la loi de programmation. Nous saluons l’inflexion du Gouvernement, qui nous rapproche de l’exécution budgétaire prévue, mais nous ne pouvons pas accepter que la trajectoire ne soit pas respectée, car cela se fait au détriment de la justice.
Tronqués de 276 millions d’euros, au travers des amendements gouvernementaux nos II-626 et II-900, les présents engagements font de celle qui concerne la justice la plus maltraitée des lois de programmation. Le groupe Les Indépendants a toujours défendu la réduction de la dépense publique, mais non de n’importe quelle dépense publique. En effet, seul l’État est en mesure d’exercer les missions régaliennes, qui sont au fondement du fonctionnement de notre société et au cœur des demandes de nos concitoyens.
Ce budget n’est pas celui de la reconstruction et de la projection qu’attendent les acteurs du monde judiciaire. La justice, la police, les armées ou encore l’enseignement supérieur et la recherche ne sauraient en aucun cas pâtir des difficultés budgétaires que notre pays rencontre actuellement. Comment allons-nous expliquer à nos concitoyens que la justice, sur laquelle ils comptent pour faire valoir leurs droits, va encore devoir attendre ?
Le rapport de la commission des finances souligne que la justice française dispose du plus faible budget par habitant, en pourcentage de PIB, de l’ensemble des pays comparables. Tous les orateurs l’ont rappelé ici ce soir : le retard est structurel.
Combien de temps accepterons-nous encore d’avoir une justice sous-dotée, alors que des marges financières importantes existent, on le sait, au sein des autorités administratives indépendantes ou des opérateurs de l’État ? Ce n’est pas notre collègue Nathalie Goulet qui me contredira. Or les budgets de ces organismes restent stables ou sont en hausse.
La députée Marie-Christine Dalloz, dans son rapport budgétaire sur le programme 308 « Protection des droits et libertés » de la mission « Direction de l’action du Gouvernement », analyse la trajectoire financière de cinq de ces autorités, dont la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). En 2025, leurs dotations augmenteront, à rebours des efforts demandés aux administrations publiques. Il est possible de trouver auprès des autorités administratives indépendantes des marges bien supérieures aux 276 millions d’euros qui manqueront à la justice !
Cela a été rappelé : nous avons besoin de davantage de juges, de davantage de greffiers et de davantage de personnel judiciaire. Le PLF préserve ces recrutements et nous nous en félicitons. Mais il faut donner à la justice les moyens de poursuivre une modernisation qui vient à peine de commencer. Or les solutions informatiques dont dispose le ministère sont pour le moins insuffisantes.
La restauration de la justice doit demeurer l’un des chantiers prioritaires des prochaines années : il y a là une attente forte et légitime de la part de nos concitoyens. Or la demande des citoyens, en démocratie, doit constituer le premier critère de priorisation de la dépense publique. Ce n’est qu’en dernier recours, après avoir restreint ou cessé son action non régalienne, que l’État doit envisager de faire des économies sur le secteur régalien, auquel appartient la justice.
Nous ne saurions nous satisfaire d’un budget qui ne respecterait pas la loi de programmation. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants s’abstiendra sur les crédits de cette mission.