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Proposition de loi Garantir la confidentialité des consultations juridiques (Discussion générale)

Publié le 
4.6.2024
 - Mis à jour le 
4.6.2024

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues,

j’ai l’honneur de présenter devant vous une proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise.

Certains des traits de cette proposition de loi sembleront probablement familiers à plusieurs d’entre vous, puisqu’elle prolonge un amendement déposé par notre collègue Hervé Marseille dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Sans son initiative, je ne serais pas devant vous aujourd’hui ; qu’il en soit remercié, de même que le groupe UC.

Alors qu’une commission mixte paritaire avait consacré l’inscription de ce dispositif dans la loi, le Conseil constitutionnel, par sa décision du 16 novembre 2023, l’a censuré en tant que cavalier législatif. La censure n’a donc pas porté sur le fond : elle est d’ordre technique.

Un nouveau véhicule législatif était donc nécessaire et je remercie mon groupe, le groupe Les Indépendants – République et Territoires, d’avoir saisi l’occasion de notre niche parlementaire pour inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour.

Le texte qui vous est présenté résulte d’un important travail commun de la commission des lois, dont je salue le président, François-Noël Buffet, ainsi que tous les membres avec lesquels j’ai pu débattre de ce sujet avec sérieux et responsabilité.

Je tiens à remercier également nos collègues Olivier Rietmann, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, et Agnès Canayer de leurs éclairages. Quant à notre rapporteure Dominique Vérien, je la salue, évidemment, pour son investissement et son écoute bienveillante. Les auditions qu’elle a menées l’ont conduite à proposer des amendements qu’elle a pu faire adopter par la commission, et qui ont beaucoup enrichi le texte initial.

Loin d’être un sujet anecdotique ou purement technique, la question de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise concerne, en France, plus de 5 000 sociétés et plus de 20 000 juristes d’entreprise. Il s’agit, après les avocats, de la deuxième profession juridique dans notre pays.

Ce sujet essentiel fait l’objet de discussions depuis plus de trente ans en raison des enjeux économiques et politiques qu’il recouvre.

Il a été abordé sous de multiples angles depuis la publication du rapport remis en 1988 par Daniel Soulez-Larivière, qui préconisait déjà de faire bénéficier les juristes d’entreprise de « règles de confidentialité d’échanges de correspondances ».

Ont suivi les rapports d’Henri Nallet, de Marc Guillaume, de Jean-Michel Darrois, du député Raphaël Gauvain et, enfin, du groupe de travail sur la justice économique et sociale présidé par Jean-Denis Combrexelle.

Tous ces rapports, s’ils ne placent pas le curseur au même endroit, vont dans le même sens, celui de la reconnaissance de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise.

La question sur laquelle vous êtes appelés à vous prononcer, mes chers collègues, n’est donc pas anodine : elle est déterminante et n’a pu trouver, à ce jour, de réponse législative.

Par ce texte, nous proposons une adaptation de notre système juridique qui est plus nécessaire que jamais, en répondant à toutes les critiques qui ont été formulées au fil des années.

Longtemps, les juristes d’entreprise se sont contentés, dans notre pays, de mettre en forme juridique des décisions prises par d’autres – des ingénieurs, des commerciaux… Mais la pratique a évolué : le juriste d’entreprise voit son rôle de plus en plus reconnu. Surtout, l’État lui-même lui délègue désormais des tâches de plus en plus nombreuses. Ce faisant, il fait des juristes d’entreprise de véritables auxiliaires des pouvoirs publics, en les investissant de missions préventives, l’objectif étant d’identifier les risques juridiques avant que d’éventuels problèmes ne se posent.

C’est ce que l’on appelle la « compliance », ou « conformité ». D’origine anglo-saxonne, où elle fait florès, notamment dans les domaines bancaire, financier et de la concurrence, cette notion a pris de l’ampleur en France, en particulier depuis l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2.

Cette dernière avait pour objet d’aider les personnes confrontées à la loi à prévenir et à détecter les violations d’intégrité.

Le contrôle de la conformité s’est ensuite étendu, avec l’entrée en vigueur de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, à d’autres domaines de la vie des entreprises – égalité entre les femmes et les hommes, environnement, responsabilité sociétale des entreprises (RSE), etc. – pour lesquels la méthode traditionnelle d’application uniforme des règles à toutes les entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur économique, et de sanction a posteriori apparaissait peu adaptée.

Le contrôle s’étend désormais des programmes de conformité préconisés par l’Autorité de la concurrence jusqu’aux autoévaluations imposées par la Commission européenne en matière de respect du droit antitrust.

Dans cette conception nouvelle du droit, les rôles de l’État et des entreprises sont modifiés : ce sont les juristes d’entreprise qui élaborent et qui appliquent la norme – codes de conduite, dispositifs d’alerte, cartographie des risques… L’État n’intervient plus que dans un second temps, en cas de non-respect des obligations de conformité.

Le phénomène est aujourd’hui si répandu que, dans de nombreuses grandes sociétés françaises, le directeur juridique porte désormais le titre de « directeur juridique et de la conformité ».

Cette évolution majeure de notre droit implique d’adapter nos règles. Si nous voulons inciter les juristes d’entreprise à dénoncer les comportements déviants à leur direction générale ou à leur direction commerciale et à assumer le rôle préventif qu’on leur demande de jouer, nous devons éviter tout risque d’auto-incrimination.

Pour ce faire, il n’existe qu’un seul moyen : que leurs avis juridiques préventifs soient protégés en cas de contrôle. À défaut, aucun avis ne sera émis, et tous les textes que j’ai évoqués auront été votés pour rien. Tel est précisément l’objet de cette proposition de loi.

Le qui vous est soumis, mes chers collègues, est équilibré ; il répond à l’ensemble des critiques et des inquiétudes qui ont été à juste titre exprimées et permet l’adaptation de notre système juridique aux défis qui l’attendent.

Tout d’abord, cette proposition de loi ne vise pas à entraver – je veux l’affirmer avec force – le travail d’enquête des autorités de contrôle. Celles-ci élaborant elles-mêmes des programmes de conformité et auront besoin de ce texte pour les mettre en œuvre.

Je rappelle que l’avis d’un juriste d’entreprise n’est pas un élément indispensable à défaut duquel une enquête ne pourrait être menée à son terme. Il est même très rare, en cas d’enquête, qu’intervienne l’avis d’un juriste d’entreprise.

Ensuite, la confidentialité de l’écrit du juriste d’entreprise ne sera pas applicable lorsque ce dernier participe, encourage ou facilite la commission d’une infraction.

De plus, en cas de soupçon par les autorités de contrôle, une procédure spécifique de mainlevée de la confidentialité a été prévue, dans le respect des droits de la défense.

J’ajoute que les domaines du droit pénal et du droit fiscal sont exclus du champ d’application de cette proposition de loi.

Ce texte ne crée pas non plus une nouvelle profession réglementée, qui concurrencerait la profession d’avocat. La confidentialité des avis des juristes d’entreprise ne doit pas être confondue avec le secret professionnel des avocats, qui n’a pas le même objet ni n’est soumis au même régime.

La confidentialité n’est pas un secret absolu lié à la qualité de juriste d’entreprise in personam : elle est une protection in rem, liée à un avis spécifique, identifié et traçable. En d’autres termes, il s’agit d’une protection des avis et non des personnes.

Enfin, par cette proposition de loi, nous entendons offrir un cadre juridique compétitif aux entreprises françaises – c’est fondamental ! Applicable, sous diverses formes, en Belgique, au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans dix-sept des trente-trois pays membres de l’OCDE, la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise est une arme essentielle en matière d’attractivité économique.

Si la France souhaite disposer de juristes d’entreprise de plein exercice, elle doit à son tour leur reconnaître cette prérogative. L’adoption de ce texte évitera l’installation de services juridiques offshore et constituera une réponse beaucoup plus efficace que les lois de blocage aux injonctions extraterritoriales inadmissibles des juges étrangers, notamment américains.

Je l’ai vécu ! J’ai entendu un juge dire, après avoir engagé une procédure d’injonction de produire tel ou tel document, que s’il avait existé une loi sur la confidentialité il n’aurait pas prononcé une telle ordonnance.

Il convient de placer le droit français à l’avant-garde et d’inspirer les futurs textes européens qui ne manqueront pas d’être adoptés dans les domaines que j’ai cités.

Je tiens à affirmer, car certains ont prétendu le contraire, que la confidentialité française n’est absolument pas en contradiction avec les textes européens. En effet, elle s’appuie sur le principe d’autonomie procédurale des États membres et ne s’oppose aucunement au principe de primauté du droit européen en cas d’enquête européenne.

En définitive, loin d’avoir à craindre je ne sais quelle concurrence nouvelle, les avocats français peuvent se féliciter que ce texte leur ouvre de nouveaux marchés.

Avec cette proposition de loi, nous allons de l’avant : il n’y a aucune crainte à avoir. Il faut y aller, pour nos juristes, pour nos entreprises et pour notre droit !

Je souhaiterais remercier Mme la rapporteure et tous les membres de la commission des lois, qui ont participé avec ardeur à ces travaux très intéressants, ainsi que l’ensemble de mes collègues.

Je remercie également mon confrère, maître Francis Szpiner – nous avons eu des explications à plusieurs reprises –, même si l’on ne peut pas le convaincre facilement.

Portrait de Louis Vogel, sénateur Seine-et-Marne

Louis Vogel, sénateur de Seine-et-Marne

  • Professeur des universités et juriste
  • Vice-président de la commission des affaires européennes
  • Membre de la commission des lois
  • Membre du groupe Les Indépendants - République et Territoires
  • Juge à la Cour de Justice de la République
Département Seine-et-Marne

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